Questions d'orientation par Sylvie Cado-Fauci
04 septembre 2017 à 16h20 - 2826vues
Sylvie Cado-Fauci
Conseillère d'orientation-psychologue
Et si on passait par le jeu ?
SYLVIE CADO-FAUCI, OSMAN JALIS. Les auteurs ont créé un jeu qui sert de support à des séances autour de la vie d'un collège, de la scolarité et de l'avenir des élèves. Présentation, explication, enjeux.
Le parcours avenir permet aux élèves de découvrir les études, les métiers, le monde économique et professionnel, de construire leur projet, mais aussi de développer leur sens de l’engagement et
de l’initiative. Nous sommes deux conseillers d’orientation psychologues(1) qui avons créé un jeu, « Les clés du collège », qui s’inscrit pleinement dans ce parcours. Il apporte aux élèves une culture générale sur l’orientation et leur permet d’échanger sur leur vécu d’élève et leur environnement ; en cela, il les place en situation de prise d’initiatives et participe à leur bienêtre à l’école.
DESCRIPTION D’UNE SÉANCE DE JEU
L’intervention se fait devant une classe qui m'a été présentée comme agitée, avec des élèves prenant la parole à tout bout de champ, qui coupent la parole au professeur. Les élèves, une quinzaine, sont assis autour d'une grande table. J’anime la séance. Devant moi se trouvent plusieurs paquets de cartes de différentes couleurs, un sablier, un dé de plusieurs couleurs, une sonnette, une baguette magique. Je perçois leur curiosité et étonnement. Rapidement j'obtiens le silence, ils sont intrigués. Cela va-t-il durer ? J'annonce d'emblée les règles à suivre : interdiction de nommer qui que ce soit, d'être négatif, moqueur ou dévalorisant, nous sommes dans un jeu où la bienveillance, la gentillesse sont obligatoires.
J'énonce quelques objectifs de la séance, afin d'entrer rapidement dans le jeu. Ils peuvent être multiples : découvrir son environnement proche et moins proche au sein du collège, aborder des questions d'orientation, créer une meilleure ambiance, apprendre à s'écouter, se connaitre, aborder son rapport au savoir, aux études et apprentissage, apprendre à positiver son vécu scolaire.
Le jeu a une structure analogue à l’environnement des élèves de collège : un tour de jeu est un trimestre, chaque équipe, de trois ou quatre joueurs, est une miniclasse avec un délégué. Je rappelle ces principes, puis les équipes sont constituées.
CHEMINEMENT D’ÉLÈVE ET PARCOURS AVENIR
Apprendre et aider à s'orienter : des parcours à venir ?
LE JEU PEUT COMMENCER
Premier tour de table, premier trimestre. Le délégué tire le dé et choisit ensuite une carte de la couleur obtenue. Chaque couleur correspond à une thématique : personnages (personnels du collège), lieux du collège, études et métiers, matières (disciplines). Les mécaniques de jeu sont variées, de façon à éviter la lassitude et créer un effet de suspense, et sont volontairement simples de manière à être comprises rapidement, comme des mots à faire deviner, des saynètes à jouer, parfois simplement des questions. Étonnamment, ils respectent la règle et s'écoutent attentivement. J'interviens surtout pour rappeler que les réponses se donnent en commun (le délégué doit donner la réponse une fois que le groupe s'est mis d'accord et non avant en solo). Ils n'ont manifestement pas l'habitude de travailler ensemble. Il faut oublier le chacun pour soi, mais ils apprennent vite.
Chaque équipe joue à tour de rôle. Lorsqu’elle réussit, tous ses membres remportent une clé de la couleur en question. Lorsque le tour est terminé, le premier trimestre est fini, c'est le temps du conseil de classe : une équipe s'isole dans un coin de la classe pour préparer en
quelques minutes un jeu de rôle, alors que j'anime pendant ce temps une baguette magique avec les équipes restantes : chaque équipe doit se mettre d'accord sur trois propositions visant à améliorer la vie au collège, à partir de la formule « si j’avais une baguette magique... ». Ils doivent parler tout bas, car l'équipe « jeu de rôle » y jouera après sa saynète, et si l'une des propositions correspond à une de celles émises par les autres équipes, ils remporteront une clé de chaque couleur.
La sonnette sert à interrompre les échanges. Il m'arrive de sonner lorsque je sens qu'il faut leur apporter des informations précises sur un sujet abordé, ou tout simplement pour pointer un sujet qui mériterait débat (je rappelle que nous avons le droit d'avoir chacun notre opinion, il n'y a pas de bonnes ou mauvaises réponses sur le ressenti de son vécu scolaire). Ces saynètes comprennent souvent des rôles d’adultes de l’établissement, d’élèves, mais aussi de parents. Lorsqu'ils prennent le rôle du professeur, du conseiller principal d'éducation ou du chef d’établissement, les élèves sont sans pitié, fermes et stricts. Ce jour- là, celui qui habituellement reste dans son coin révèle un sens de l'autorité impressionnant, une aisance verbale exceptionnelle. C'est le moment où je vois le professeur qui assiste à la séance happé par la situation et étonné de la prestation des élèves, comme s'il leur découvrait une nouvelle personnalité. Quant à celui qui joue l’élève, il tient son rôle de provocateur jusqu'au bout. Leur facilité à jouer des saynètes et la richesse de ce qu'ils expriment m’étonnent. Le rire arrive très vite, l'attention est souvent à son maximum dans ces moments-là. À chaque fin de saynète, tout le monde applaudit avant de reprendre.
CHEMINEMENT D’ÉLÈVE ET PARCOURS AVENIR
Apprendre et aider à s'orienter : des parcours à venir ?
UN JEU AU LONG COURS
Cette séance n’est qu’un exemple. Le jeu peut se dérouler sur plusieurs séances : plusieurs semaines consécutives sur une heure de cours, lors d’un atelier entre midi et deux. Il peut aussi être l’objet d’une seule séance, l’animateur choisit alors les thématiques qu’il souhaite aborder en amont de la séance, et ne garde que les cartes qui les concernent. Par exemple, auprès d’élèves de CM2, dans le cadre d’une action de liaison CM2-6e, nous avons retiré les cartes de la thématique « études et métiers », afin d’axer la séance de jeu sur la connaissance du collège.
Il est arrivé que certains élèves arrivent de mauvaise humeur, je sentais d'emblée qu'ils n'avaient pas envie de participer et qu'ils seraient amenés à casser l'ambiance du jeu. Pourtant, au fil du jeu, ils se détendent comme s'ils oubliaient leurs soucis ou leurs raisons d'en vouloir aux adultes du collège.
Lors d'une séance avec des élèves d'atelier relai, en utilisant une version du jeu plus axée sur le vivre ensemble, très vite les questions ont porté autour des jetons noirs, c’est-à-dire des pénalités en cas de non-respect des règles. C’est cela qui les intéressait fortement. Nous avons donc élaboré ensemble un système de sanctions se calant sur le règlement du collège (trois jetons noirs : une heure de colle, les avertissements, les conseils de disciplines, etc.). Par la suite, je n'ai jamais eu à utiliser ces jetons noirs. Même au sein de classes avec des animosités entre élèves, je ressens toujours une sorte d'osmose, une sympathie qui se dégage entre les pairs.
CONNAITRE L’ÉLÈVE DANS SA GLOBALITÉ
J'ai pu observer, lors d'une séance, une élève de 6e extrêmement introvertie et en réelle difficulté scolaire. Lors de la passation d’un test cognitif dans le cadre d’une orientation en Segpa (section d’enseignement général et professionnel adapté), elle s'exprimait si peu que je m'étais posé la question d'une dysphasie, et ses résultats totaux étaient assez faibles à cause de ce manque d'aisance orale. Pourtant, lors des séances « Les clés du collège », elle s'est révélée rapidement très à l'aise, à tel point qu'elle était celle qui prenait le plus la parole et venait le plus réclamer de jouer à ce jeu, en particulier pour les jeux de rôle. Était- ce l'effet de groupe ? Le fait de savoir que personne ne la critiquerait ? De pouvoir dédramatiser par le rire ce qui justement la faisait souffrir ? Un ensemble de tout cela peut- être. J'ai donc pu moduler mon compte rendu sur ses aptitudes intellectuelles ; en effet, au sein du test, il n'est pas possible de percevoir les capacités révélées dans un groupe, et cette élève en fut l'exemple marquant.
Ces moments de débat permettent d’aborder des thématiques spécifiques à l'établissement, ils peuvent constituer des compléments aux autres actions de prévention ou au cours d’enseignement moral et civique. Ici ce sera les repas de cantine, ailleurs l'organisation du passage à la cantine, ou bien la relation avec les surveillants, etc. D’autres thématiques émergent : l’éducation des parents, l'ambiance de classe, l'intolérance, le racisme, le sexisme, etc. Les sujets de débat peuvent être plus ou moins larges, selon les cartes choisies par l’animateur pour la séance de jeu. Celle-ci peut être dédiée à l’orientation ou pas, comme dans le cadre d’une heure de vie de classe ou encore d’une intervention visant à améliorer le climat de la classe.
UN JEU QUI S’INSÈRE DANS LE PARCOURS AVENIR
Les cartes sur l’orientation permettent d’apporter aux élèves une culture générale, mais aussi une grille d’analyse qu’ils pourront réutiliser pour la construction de leur propre projet. Par exemple, un jeu qui s’inspire de « Taboo ». Il s’agit de faire deviner un nom de métier sans citer des mots clés. Ce jeu permet d’aborder les notions d’activité professionnelle, de secteur professionnel et de conditions de travail. Lors d’entretiens individuels d’orientation avec des élèves qui avaient déjà joué, j’ai pu les aider à se réapproprier ces notions au regard de leurs propres projets. Le jeu a aussi été l’occasion de travailler des méthodologies utiles en orientation : les élèves ont créé leurs propres cartes, à partir de recherches documentaires encadrées, et ont pu ensuite jouer avec leurs cartes. D’autres cartes encouragent à enquêter auprès d’élèves, d’étudiants ou de personnes exerçant une profession.
Apprendre et aider à s'orienter : des parcours à venir ?
Le fait que l’orientation soit diffuse dans la vie de l’élève a été abordé au travers de cartes bicolores : elles sont rouges pour « Études et métiers », vertes pour « Lieux », bleues pour « Personnages » ou jaunes pour « Matières ». L’ancrage disciplinaire de l’orientation, au cœur du parcours avenir, est intégré dans ce jeu au travers des cartes bicolores rouges et jaunes, qui portent sur les liens entre disciplines, études et métiers. Par ailleurs, les mécaniques de jeu d’autres cartes peuvent être adaptées en situations d’apprentissage disciplinaires. Par exemple, un professeur d'espagnol qui avait assisté à une séance avec moi a décidé d'utiliser la saynète lors de son prochain cours, en la faisant rejouer en espagnol.
DÉVELOPPER DES COMPÉTENCES À S'ORIENTER
Les débats, les saynètes et certaines cartes proposant des défis à relever permettent aux élèves de prendre du recul sur leur vécu d’élève, de réfléchir à leur environnement, de le
comprendre, et d’y être acteur, par exemple en allant à la rencontre d’autres personnes, ou en proposant des moyens de résoudre des problèmes rencontrés au collège.
À la fin de la séance de jeu avec les élèves, je leur explique que nous sommes les créateurs du jeu qui est évolutif, et que j'aimerais qu'ils me donnent leur avis à la fin sur ce jeu, sa mécanique et des idées pour l’améliorer. Ils apprécient beaucoup d'être associés à cette élaboration. L'adulte n'est pas le seul à pouvoir apporter aux élèves du contenu, un cadre, eux aussi peuvent le faire.
En plus d’apporter une culture générale sur les études, les métiers et le monde économique et professionnel, le jeu permet de s’inscrire dans une démarche de projet ; il favorise le travail en groupe et apprend aux élèves à explorer leur environnement ; il permet aussi de comprendre que l’on peut devenir acteur, dans le cadre du conseil de la vie collégienne ou lors de débats en classe, et prendre des initiatives. Toutes ces compétences sont utiles dès lors que l’élève construit son propre projet, elles participent à la « compétence à s’orienter » promue par le parcours avenir. Le jeu est un support accessible à tous les enseignants, personnels d’orientation et de vie scolaire, pour échanger autour de l’avenir des élèves, de leurs futurs métiers, voire de leur position d’élève.
Les échanges autour de la vie au collège, des rôles des différents acteurs permettent également d’agir sur le climat scolaire de l’établissement, d'échanger collectivement autour de l'ambiance de classe, le comportement de chacun mais également son rapport aux autres, au savoir et à l'environnement. Les échanges entre pairs sur l’orientation, dans une ambiance détendue, favorisent la prise de parole, dans le respect de chacun. Le jeu permet enfin de changer de posture tant pour les élèves que pour les encadrants ; en changeant le contexte des échanges, le regard des
CHEMINEMENT D’ÉLÈVE ET PARCOURS AVENIR
Apprendre et aider à s'orienter : des parcours à venir ?
uns envers les autres évolue.
SYLVIE CADO-FAUCI
Conseillère d’orientation-psychologue
OSMAN JALIS
Conseiller d’orientation-psychologue
1 « Psychologue de l'Éducation nationale, spécialité éducation, développement et conseil en orientation scolaire et professionnelle » ; c'est le nouvel intitulé en vigueur à partir de la rentrée 2017 bien que l'intitulé « conseiller d'orientation psychologue » ne disparaisse pas
BON À SAVOIR
Le jeu « Les clés du collège » est en cours d'édition par l'Onisep. Si ce jeu vous intéresse, n'hésitez pas à contacter ses auteurs par courriel : sylviecado@hotmail.fr et osman.jalis@yahoo.fr"
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